Nostalgie heureuse

Nostalgie heureuse
Nostalgie heureuse Normandie
© Mélany Bigot

Le vent se lève.

Il balaye la plage de galets qui s’étend à perte de vue. Malgré le mois de février qui n’est pas encore terminé, le ciel est d’un bleu azur totalement dépourvu du moindre nuage. Le soleil est haut, il se reflète sur la Manche, cette mer que je connais bien et si peu à la fois.

Au loin, les falaises. Mieux vaut ne pas s’en approcher. Les vagues ont charrié des restes de briques et de poutres de maisons construites au mauvais endroit. Un glissement de terrain, et des souvenirs de dizaines d’années sont emportés par les flots. Des vies effacées en un clin d’œil.

Des souvenirs. J’en ai tellement en venant ici. Pourtant, mes visites n’ont pas été très fréquentes. Je le regrette ; j’aurais tant aimé me rendre en ces lieux, dans cette ville, nichée au bord de la mer, longée par la forêt et les falaises, balayée par les vents marins et les embruns.

C’est sa ville, celle de mon grand-père, cet homme de l’océan qui est parti depuis maintenant cinq ans sur les courants célestes. Pas un jour ne passe sans que je ne pense à lui.

C’est la ville de sa famille. De la mienne. Ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces ancêtres, ceux qui partagent mon sang, mes valeurs, mon histoire.

Je remonte la rue bordée de maisons normandes, aux briques rouges et aux poutres de bois. Pas question de porter mes écouteurs, je veux profiter de la rumeur qui m’entoure, des voix sur la place du marché, des gens qui parlent et rient, et surtout, surtout, des cris des goélands qui volent au-dessus des toits. Si chaque matinée de ma vie pouvait débuter par ce chant qui remplit mon cœur de joie dès que je l’entends, je serais la plus heureuse. Les promeneurs se pressent à l’entrée des Tribunaux, ce café emblématique de la ville. Je n’ai pas le temps de m’arrêter ; on m’attend pour le repas.

Le voilà, cet immeuble qui ne paye pas de mine. On traverse un hall, puis une cour, jusqu’à la porte du fond. C’est tout un monde qui se trouve derrière cette porte en bois qui ressemble à celle de n’importe quel appartement. On entre et découvre un jardin, un magnifique jardin que l’on ne peut deviner de la rue. Un lieu si extraordinaire se devait d’abriter des personnes tout aussi incroyables, et c’est le cas.

Je lève les yeux vers la maison, cette grande et belle maison dissimulée par la façade de l’immeuble. De l’extérieur, on ne peut se douter qu’elle est si grande, pleine d’escaliers, de couloirs et de pièces secrètes. Une maison d’écrivain. C’est ce qu’elle est. Du moins, elle l’a été.

Assis autour de la table tous ensemble, on mange, on parle, on écoute. On évoque de lointains ancêtres, des souvenirs du passé qui me remplissent toujours de ce qu’Amélie Nothomb appelle la nostalgie heureuse. Ces gens, que je les aie connus ou non, ont vécu avant moi ; sans eux, je n’existerais tout simplement pas. J’adore découvrir leurs histoires, leurs vies, leurs personnalités. Il y a les photos pour raviver la flamme de la mémoire, mais ce que je préfère par-dessus tout, ce sont les histoires que ma grand-tante me raconte, les yeux pétillants, le sourire aux lèvres, la voix teintée d’émotion.

J’écoute, j’interroge. Je veux absolument savoir qui étaient ces gens. Mes arrière-arrière-grands-parents, leurs enfants, puis leurs petits-enfants. Elle me parle de la famille par alliance, des amis proches qui étaient comme des oncles et tantes. On mentionne des drames familiaux, des disputes irrémédiables qui nous ont coupés d’une part importante de notre famille.

Mais surtout, elle me parle de lui, de mon grand-père qui me manque tant. Son grand frère, celui qui l’a martyrisée dans leur enfance, mais qu’elle aimait et aime toujours tendrement. Ce même grand-père qui n’a jamais quitté mon cœur, même s’il a quitté cette Terre. J’en apprends toujours sur lui, sur ses aventures normandes lorsqu’il était jeune, sur sa personnalité, ses rêves, ses ambitions. Dans ces moments-là, c’est comme s’il était toujours parmi nous, à nous écouter, assis sur son fauteuil, son petit sourire – le même que sa sœur – au coin des lèvres. Oui, il est là, dans nos cœurs, et il continuera de vivre à travers les histoires que nous raconterons de lui, à travers les photos que nous nous montrerons, à travers nos souvenirs.

Au bout de la table de la salle à manger, je souris. Que j’aime ces instants partagés avec ma famille, dans ce lieu si symbolique qu’est la maison cachée derrière le mur qui abrite tant de récits fascinants et émouvants. Un lieu de nostalgie heureuse.

Coco Famille


3 thoughts on “Nostalgie heureuse”

  • Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un récit. Merci pour cette nostalgie partagée. Je ressens souvent les mêmes choses quand je retourne dans le petit village de Bourgogne où j’ai grandi.
    Merci.

    • Merci beaucoup Pascal, je suis contente que mon texte vous ait plu 😊 Cette émotion survient souvent quand on se rend dans les lieux de notre enfance, c’est un beau et curieux mélange de joie et de tristesse.
      Bonne soirée à vous !

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