Lettre à l’ado que j’ai été : ma version à moi

Lettre à l’ado que j’ai été : ma version à moi

Récemment, une amie m’a prêté le livre Lettres à l’ado que j’ai été. Sous la direction de l’auteur Jack Parker, différentes personnalités du web, comme Bérengère Krief ou Adrien Ménielle, écrivent une lettre à leur « eux » du passé. Leur version plus jeune. À cet ado, ils disent tout ce qu’ils auraient voulu qu’on leur dise à cette époque. Ils reviennent sur leur parcours, sur leur vie, sur leurs erreurs. En lisant ce livre poignant, je me suis retrouvée catapultée treize ans en arrière, quand je n’étais qu’une gamine chétive et harcelée. Et ça m’a donné envie d’écrire une lettre, moi aussi, à cette petite Mélany qui se croyait perdue et délaissée pour toujours.

Mélany Bigot Lettre à l'ado que j'ai été

Hey !

Ne t’inquiète pas, ce n’est que moi. Ou plutôt toi. Oui, c’est bizarre, je sais, je suis toi. Toi dans treize ans. Tu peines à y croire : j’en ai vingt-six, je suis grande, j’ai les cheveux noirs, j’ai une poitrine – miracle – et surtout, surtout, je suis en vie.

Toi, tu es encore toute petite, toute frêle, toute plate, les cheveux blonds, en bataille, les épaules rentrées, les yeux baissés. Tu essayes de devenir invisible, de rentrer dans le sol. Tu te caches avec des vêtements trop grands, tu t’évades en lisant des livres dès que tu le peux. Tu penses, beaucoup. À la vie, à la mort. Tu ne le sais pas encore, mais tu vas faire de belles conneries d’ici trois ans. Des médocs, des coupures sur les bras, sur les jambes, là où ça ne se voit pas. En soirée, tu boiras plus que de raison pour oublier que tu es différente. Et tu pleureras. Beaucoup.

Le temps a passé, certes, mais je n’ai pas oublié. Je me souviens de chaque injure, chaque humiliation, chaque violence que tu as subies. Quand tes copines t’ont abandonnée parce que tu n’étais pas assez cool. Quand les gens du collège se moquaient de toi. Oui, par malheur, quelqu’un avait trouvé une ressemblance entre toi et l’actrice du Destin de Lisa. Pendant deux ans, on te le répétait, inlassablement, dès que tu franchissais le portail du collège Jean Renoir. Je me rappelle quand les professeurs voyaient ton calvaire, mais ne disaient rien. Quand tu étais la dernière à attendre qu’on te choisisse dans l’équipe de basket. Quand ce garçon t’a attrapée et envoyée voltiger à quatre mètres sur le terrain de rugby parce que tu étais trop légère. Quand cette pionne t’interdisait d’aller au CDI pendant la récré, puis qu’elle te regardait te mettre, seule, dans un coin de la cour en attendant que le temps passe. Quand en voyage scolaire, on a volé ta valise. Quand les gens se battaient pour ne pas être dans ta chambre. Quand ce garçon dont tu étais amoureuse a dit devant toute ta classe que c’était hors de question qu’il sorte avec toi. Quand ton « copain » t’a quittée parce que tu ne voulais pas faire l’amour avec lui. Quand celui que tu voyais comme ton meilleur ami refusait d’être vu avec toi devant le lycée.

Et toi, tu ne disais rien. Tu subissais, en silence. Il t’arrivait de pleurer, parfois. Tu ne comprenais pas. Pourquoi est-ce qu’on te faisait tout ça ? Toi, tout ce que tu voulais, c’était vivre une petite vie tranquille, avoir quelques amis, être aimée. Ton malheur ? Une imagination un peu trop débordante et une puberté très tardive. Alors que les filles de ta classe mettaient des strings et buvaient déjà de l’alcool, tu jouais aux poupées avec ta petite sœur et tu rêvais d’une planète magique nommée Féériqua.

C’est là que tu as commencé à ressentir de la colère. Ne me mens pas, je le sais. Tu n’avais qu’une envie, frapper tous ces crétins qui te faisaient tant souffrir, qui te méprisaient tant. Tu voulais à ton tour les mépriser, leur prouver que tu valais mieux qu’eux. Ton rêve était qu’une armée de guerriers venus d’un quelconque univers parallèle vienne te chercher, annonçant à tous que tu étais une puissante magicienne, héritière d’un trône et respectée de tous. Je sais, en lisant ces lignes, tu souris, et tu es aussi un peu honteuse. Pourtant, c’est comme ça qu’a commencé ta carrière d’écrivain.

Là, tu es surprise. Bien sûr, tu veux être écrivain, comme ton grand-oncle. Tu écris déjà quelques petites histoires par-ci, par-là. Mais on ne vit pas de l’écriture en France, ça n’arrive jamais, hein ? C’est bien ce qu’on t’a dit et redit. Et j’y croyais encore jusqu’à très peu. Mais à l’heure où je t’écris, tu es bel et bien écrivain. Tu ne vis pas encore entièrement de tes romans, mais c’est en bonne voie de se produire. Et surtout, tu vis de ta plume. Tu écris des articles, corriges des romans et des mémoires, rédiges des scripts de vidéos, prépares des newsletters, animes des réseaux sociaux… Ton travail est très varié et tu ne t’ennuies jamais.

Le mieux ? Tu es ta propre patronne et tu travailles de chez toi, comme tu l’as toujours rêvé. Oui, car tu vas surmonter certains traumatismes du harcèlement, mais je suis désolée de t’apprendre que tu garderas toujours une réserve quant aux contacts humains. Je ne dirais pas que tu es misanthrope, mais tu préfères rester dans ta bulle pour écrire. Oui, écrire va être la plus grande part de ton quotidien, de ta vie. Ta carrière commencera avec ce roman qui te trotte dans la tête, déjà au collège. Tu sais, Abby McAlban. Il ne s’agira pas d’une aventure paranormale dans un collège anglais, comme tu voulais le faire au départ. Mais crois-moi, même si le résultat est imparfait, parce que c’est ton premier roman, tu en seras fière, si fière. Et tu peux l’être ! Peu d’ados arrivent à écrire un tel pavé à 16 ans. Et peu de personnes ont déjà écrit 19 romans à 26 ans. Ça te paraît beaucoup, mais je sais que je ne suis qu’au début de ma carrière. J’ai des centaines d’idées qui fourmillent encore dans ma tête et qui n’attendent que de jaillir sur le papier.

En ce moment, tu es au collège, tu es rejetée, maltraitée, insultée, moquée. Ça va durer encore quelques années, j’en suis désolée pour toi. Mais ta vie va tellement changer par la suite. Tu rencontreras un garçon formidable – celui qui partage ton quotidien depuis dix ans maintenant. Bon, je te l’avoue, tu le connais déjà, mais tu ne sais pas encore qu’il deviendra l’homme de ta vie.

Tu vas te faire des amis. Je ne te cache pas que tu vas rencontrer de sacrés boulets sur ta route, mais ça va t’aider, te forger, et même t’inspirer de nouvelles histoires. Ça t’apprendra également à ne plus accorder ta confiance à tort et à travers, uniquement parce qu’on t’a rejetée par le passé et que tu as un besoin désespéré de reconnaissance. Mais dans le lot, tu rencontreras de véritables perles, des personnes formidables qui t’écouteront au quotidien, qui t’accompagneront, avec qui tu collaboreras, tu bâtiras.

Tu reverras tes harceleurs. Ils ne se souviendront pas de toi. Mais quand ils apprendront que tu as écrit un roman, ils seront impressionnés, te poseront des tas de questions. Là, je te l’avoue, c’était mon petit moment de fierté.

Je vais te sortir une phrase tirée de RRRrrr !!!, ce film que tu adores et que je te conseille de regarder en boucle, ça te servira à l’avenir : « Ta différence, c’est ta force ». Et c’est vrai. Tu es différente. Ton physique n’est pas aux normes. Tu n’entres pas dans le moule de toutes ces filles vêtues de jeans slims et de sacs Longchamp. Tu veux absolument être comme tout le monde et être intégrée, mais tu ne l’es pas. Et en te rejetant, les collégiens t’ont offert le plus précieux des cadeaux : ta personnalité. Tu es quelqu’un de singulier. Tu es persuadée que quelque part dans l’univers, tes personnages existent. Tu crois aux dieux grecs. Tu es fan de Lucifer à cause d’un roman de Glen Duncan. Tu parles seule pour inventer des dialogues crédibles. Tu as un tsum tsum domestique qui vit sur ta table de nuit dans un panier pour hamster. Bizarre, folle, zinzin… On peut te qualifier de tout ce que tu veux. Moi je te le dis, tu es unique, tu es créative, et de cette créativité découleront bientôt des romans, des portails vers ces mondes que tu fantasmes tant.

Alors, courage. Je ne te ferai pas l’affront de t’appeler Mel, même si actuellement, je sais que tu trouverais ça cool qu’on te donne un surnom. Tu n’aimes pas ton prénom, et pourtant, tu apprendras à l’aimer avec le temps. Même ton nom de famille, tu l’as longtemps détesté, parce qu’on te le répétait à longueur de temps d’une voix moqueuse. Tu voulais le changer, t’appeler Krueger, ou Sertillanges. Mais aujourd’hui, tu es fière de dire que tu es Mélany Bigot, auteur de romans.

Courage Mélany, garde la tête haute, avance. Et je terminerai par la citation d’un grand homme :

« Mundi placet et spiritus minima. Ça n’a aucun sens mais on pourrait très bien imaginer une traduction du type : « Le roseau plie, mais ne cède… qu’en cas de pépin », ce qui ne veut rien dire non plus. »

À dans treize ans !

Mélany

Pour en savoir plus sur ce livre :

Lettres à l'ado que j'ai été

Pour aller plus loin : la vidéo de Louis-San sur le harcèlement scolaire et un article de Prepeers sur le même sujet.



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